Arthur RIMBAUD (1854-1891)


Poésies (1869-1886)

Au Cabaret Vert
Les chercheuses de poux
Comédie de la soif
Une saison en enfer (1873)

Faim
Les illuminations (1873-1886)

Dévotion

- Sommaire - Contemporains - Bibliographie -


Au Cabaret Vert
 
			 Cinq heures du soir. 

Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
-  Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

- Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.


					Octobre 70.



Arthur RIMBAUD

Les chercheuses de poux
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes soeurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l'enfant auprès d'une croisée
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs
Et, dans ses lourds cheveux où tombe la rosée,
Promène leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter, parmi ses grises indolences,
Sous leurs ongles royaux, la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer :
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.



Arthur RIMBAUD

Comédie de la soif
  
		I

	   LES PARENTS

   Nous sommes tes Grands-Parents.
	Les Grands !
   Couverts des froides sueurs
   De la lune et des verdures.
   Nos vins secs avaient du coeur !
   Au soleil sans imposture
   Que faut-il à l'homme ? boire.

MOI - Mourir aux fleuves barbares.

   Nous sommes tes Grands-Parents
	Des champs.
   L'eau est au fond des osiers :
   Vois le courant du fossé
   Autour du château mouillé.
   Descendons en nos celliers ;
   Après, le cidre et le lait...

MOI - Aller où boivent les vaches.

   Nous sommes tes Grands-Parents ;
	Tiens, prends
   Les liqueurs dans nos armoires ;
   Le Thé, le Café, si rares,
   Frémissent dans les bouilloires.
   - Vois les images, les fleurs.
   Nous rentrons du cimetière.

MOI - Ah ! tarir toutes les urnes !

		II

	     L'ESPRIT

   Éternelles Ondines
	Divisez l'eau fine.
   Vénus, soeur de l'azur,
	Émeus le flot pur.

   Juifs errants de Norwège
	Dites-moi la neige.
   Anciens exilés chers,
	Dites-moi la mer.

MOI - Non, plus ces boissons pures,
	Ces fleurs d'eau pour verres,
   Légendes ni figures
	Ne me désaltèrent ;

   Chansonnier, ta filleule
	C'est ma soif si folle
   Hydre intime sans gueules
	Qui mine et désole.

    
		III

	     LES AMIS

   Viens, les Vins vont aux plages,
   Et les flots par millions !
   Vois le Bitter sauvage
   Rouler du haut des monts !

   Gagnons, pélerins sages,
   L'Absinthe aux verts piliers...

MOI - Plus ces paysages.
   Qu'est l'ivresse, Amis ?

   J'aime autant, mieux, même,
   Pourrir dans l'étang,
   Sous l'affreuse crème.
   Près des bois flottants.

		IV

	LE PAUVRE SONGE

   Peut-être un Soir m'attend
   Où je boirai tranquille
   En quelque vieille Ville,
   Et mourrai plus content :
   Puisque je suis patient !

   Si mon mal se résigne,
   Si j'ai jamais quelque or,
   Choisirai-je le Nord
   Ou le pays des Vignes ?...
   - Ah, songer est indigne

   Puisque c'est pure perte !
   Et si je redeviens
   Le voyageur ancien,
   Jamais l'auberge verte
   Ne peut bien m'être ouverte.

		V

	   CONCLUSION

Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier, qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la forêt asservie,
Les derniers papillons !... ont soif aussi.

Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
- Oh ! favorisé de ce qui est frais !
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ?




Arthur RIMBAUD

Faim
Si j'ai du goût, ce n'est guère
Que pour la terre et les pierres.
Je déjeune toujours d'air,
De roc, de charbons, de fer.

Mes faims, tournez. Paissez, faims,
	Le pré des sons.
Attirez le gai venin
	Des liserons.

Mangez les cailloux qu'on brise,
Les vieilles pierres d'églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.


		¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯¯

Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.

Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette ;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.

Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.



Arthur RIMBAUD

Dévotion
À ma soeur Louise Vanaen de Voringhem : - Sa cornette bleue tournée vers la mer du Nord. - Pour les naufragés.


À ma soeur Léonie Aubois d'Ashby. Baou - l'herbe d'été bourdonnante et puante. - Pour la fièvre des mères et des enfants.


À lulu. - démon - qui a conservé un goût pour les oratoires du temps des Amies et de son éducation incomplète. Pour les hommes - À madame ***.


À l'adolescent que je fus. À ce saint vieillard, ermitage ou mission.


À l'esprit des pauvres. À un très haut clergé.


Aussi bien à tout culte en telle place de culte mémoriale et parmi tels événements qu'il faille se rendre, suivant les aspirations du moment ou bien notre propre vice sérieux.


Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge, - (son coeur ambre et spunk), - pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.


À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques. - Mais plus alors.


Arthur RIMBAUD

- Sommaire -