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Accablé de paresse et de mélancolie, Je rêve dans un lit où je suis fagoté, Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté, Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie. Là, sans me soucier des guerres d'Italie, Du comte Palatin, ni de sa royauté, Je consacre un bel hymne à cette oisiveté Où mon âme en langueur est comme ensevelie. Je trouve ce plaisir si doux et si charmant, Que je crois que les biens me viendront en dormant, Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine, Et hais tant le travail, que, les yeux entr'ouverts, Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.
[...] C'en est fait, le voilà coupé, Et mon espoir n'est point trompé. Ô dieux ! que l'éclat qu'il me lance M'en confirme bien l'excellence ! Qui vit jamais un si beau teint ! D'un jaune sanguin il se peint ; Il est massif jusques au centre, Il a peu de grains dans le ventre, Et ce peu-là, je pense encor Que ce soient autant de grains d'or ; Il est sec, son écorce est mince ; Bref, c'est un vrai régal de prince ; Mais, bien que je ne le sois pas, J'en ferais pourtant un repas. Ha ! soutenez-moi, je me pâme ! Ce morceau me chatouille l'âme. Il rend une douce liqueur Qui me va confire le coeur ; Mon appétit se rassasie De pure et nouvelle ambroisie, Et mes sens, par le goût séduits, Au nombre d'un sont tous réduits. Non, le coco, fruit délectable, Qui lui tout seul fournit la table De tous les mets que le désir Puisse imaginer et choisir, Ni les baisers d'une maîtresse, Quand elle-même nous caresse, Ni ce qu'on tire des roseaux Que Crête nourrit dans ses eaux, Ni le cher abricot, que j'aime, Ni la fraise avecque la crême, Ni la manne qui vient du ciel, Ni le pur aliment du miel, Ni la poire de Tours sacrée, Ni la verte figue sucrée, Ni la prune au jus délicat, Ni même le raisin muscat (Parole pour moi bien étrange), Ne sont qu'amertume et que fange Au prix de ce MELON divin, Honneur du climat angevin. [...] Ô manger précieux ! délices de la bouche ! Ô doux reptile herbu, rampant sur une couche ! Ô beaucoup mieux que l'or, chef d'oeuvre d'Apollon ! Ô fleur de tous les fruits ! Ô ravissant MELON ! Les hommes de la cour seront gens de parole, Les bordels de Rouen seront francs de vérole, Sans vermine et sans gale on verra les pédants, Les preneurs de pétun auront de belles dents, Les femmes des badauds ne seront plus coquettes, Les corps pleins de santé se plairont aux cliquettes, Les amoureux transis ne seront plus jaloux, Les paisibles bourgeois hanteront les filous, Les meilleurs cabarets deviendront solitaires, Les chantres du Pont-Neuf diront de hauts mystères, Les pauvres Quinze-Vingts vaudront trois cents argus, Les esprits doux du temps paraîtront fort aigus, Maillet fera des vers aussi bien que Malherbe, Je haïrai Faret, qui se rendra superbe, Pour amasser des biens avare je serai, Pour devenir plus grand mon coeur j'abaisserai, Bref, Ô MELON sucrin, pour t'accabler de gloire, Des faveurs de Margot je perdrai la mémoire Avant que je t'oublie et que ton goût charmant Soit biffé des cahiers du bon gros SAINT-AMANT.
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