Maurice SCEVE (1501-1560)


Délie (1544)

VI «Libre vivais en l'avril...»
XVII «Plutôt seront Rhône et Saône...»
XLIX «Tant je l'aimai...»
LXXXII «L'ardent désir...»
CXXIX «Le jour passé de ta douce...»
CCXXI «Sur le printemps...»
CCLVII «Tu es, Miroir...»
CCCLXXV «De toi la douce et fraîche...»
CCCXCVI «Le laboureur de sueur...»

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	  XLIX

Tant je l'aimai, qu'en elle encor je vis :
Et tant la vis, que, malgré moi, je l'aime.
Le sens, et l'âme y furent tant ravis,
Que par l'Oeil faut que le coeur la désaime.
  Est-il possible en ce degré suprême
Que fermeté son outrepas révoque ?
  Tant fut la flamme en nous deux réciproque,
Que mon feu luit, quand le sien clair m'appert.
Mourant le sien, le mien tôt se suffoque.
Et ainsi elle, en se perdant, me perd.



Maurice SCEVE



		LXXXII

L'ardent désir du haut bien désiré,
Qui aspirait à celle fin heureuse,
A de l'ardeur si grand feu attiré,
Que le corps vif est jà poussière Ombreuse :
Et de ma vie, en ce point malheureuse
Pour vouloir toute à son bien condescendre,
Et de mon être, ainsi réduit en cendre
Ne m'est resté, que ces deux signes-ci :
  L'oeil larmoyant pour piteuse te rendre,
La bouche ouverte à demander merci.



Maurice SCEVE



		  CXXIX

Le jour passé de ta douce présence
Fut un serein en hiver ténébreux,
Qui fait prouver la nuit de ton absence
À l'oeil de l'âme être un temps plus ombreux,
Que n'est au Corps ce mien vivre encombreux,
Qui maintenant me fait de soi refus.
  Car dès le point, que partie tu fus,
Comme le Lièvre accroupi en son gîte,
Je tends l'oreille, oyant un bruit confus,
Tout éperdu aux ténèbres d'Égypte.



Maurice SCEVE



		  CCXXI

Sur le Printemps, que les Aloses montent,
Ma Dame, et moi sautons dans le bateau,
Où les pêcheurs entre eux leur prise comptent,
Et une en prend : qui, sentant l'air nouveau,
Tant se débat, qu'en fin se sauve en l'eau,
Dont ma Maîtresse et pleure, et se tourmente.
  Cesse, lui dis-je : il faut que je lamente
L'heur du Poisson, que n'as su attraper,
Car il est hors de prison véhémente,
Où de tes mains ne peux onc échapper.



Maurice SCEVE



		CCLVII

Tu es, Miroir, au clou toujours pendant,
Pour son image en ton jour recevoir :
Et mon coeur est auprès d'elle attendant,
Qu'elle le veuille au moins, apercevoir.
  Elle souvent - ô heureux ! - te vient voir,
Te découvrant secrète, et digne chose,
Où regarder ne le daigne, et si ose
Ouïr ses pleurs, ses plaints, et leur séquelle.
Mais toute dame en toi peut être enclose,
Où dedans lui autre entrer n'y peut, qu'elle.



Maurice SCEVE



		 CCCLXXV

De toi la douce, et fraîche souvenance
Du premier jour, qu'elle m'entra au coeur
Avec ta haute, et humble contenance,
Et ton regard d'Amour même vainqueur,
Y dépeignit par si vive liqueur
Ton effigie au vif tant ressemblante,
Que depuis l'Âme étonnée, et tremblante
De jour l'admire, et la prie sans cesse :
Et sur la nuit tacite, et sommeillante,
Quand tout repose, encor moins elle cesse.



Maurice SCEVE

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