Juke-Box à Poésie › Alfred de Musset

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À M.V.H.
Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses,
Pour savoir, après tout, ce qu’on aime le mieux,
Les bonbons, l’Océan, le jeu, l’azur des cieux,
Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses.
 
Il faut fouler aux pieds des fleurs à peine écloses ;
Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d’adieux.
Puis le cœur s’aperçoit qu’il est devenu vieux,
Et l’effet qui s’en va nous découvre [...]
Chanson de Barberine
Beau chevalier qui partez pour la guerre,
               Qu’allez-vous faire
               Si loin d’ici ?
Voyez-vous pas que la nuit est profonde,
               Et que le monde
               N’est que souci ?

Vous qui croyez qu’une amour délaissée
               De la pensée
               S’enfuit ainsi,
Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée,
               Votre fumée
               S’envole aussi.

Beau chevalier qui partez pour la guerre,
               Qu’allez-vous faire
               Si loin de nous ?
J’en vais pleurer, moi qui me laissais dire
               Que mon sourire
               Était si doux.
Chanson : J’ai dit à mon cœur...
J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est perdre en désirs le temps du bonheur ?
 
Il m’a répondu : Ce n’est point assez,
Ce n’est point assez d’aimer sa maîtresse ;
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
Nous rend doux et chers les plaisirs passés ?
 
J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur [...]
Ninon, Ninon...
[...]
     (Elle s'assoupit. — On entend par la fenêtre le bruit 
                        d'une guitare et une voix.)

      — Ninon, Ninon, que fais-tu de la vie ?
      L'heure s'enfuit, le jour succède au jour.
                 Rose ce soir, demain flétrie,
      Comment vis-tu, toi qui n'as pas d'amour ?

                          NINON, s'éveillant.

Est-ce un [...]
Se voir le plus possible...
Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous 
   ronge,
Vivre à deux et donner son cœur à tout moment ;
 
Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement —
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
 [...]
Sonnet à Madame M.N.
Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
Jette au hasard un cri dans un chemin perdu,
Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
Le rossignol pensif a parfois répondu.
 
Ainsi fut mon appel de votre âme entendu,
Et vous me répondez dans notre cher langage.
Ce charme triste et doux, tant aimé d’un autre âge,
Ce pur toucher du cœur, vous me l’avez rendu.
 
Était-ce donc bien vous ? Si bonne et si jolie,
Vous parlez de regrets et de mélancolie.
— Et moi peut-être aussi, j’avais un cœur blessé.
 
Aimer n’importe quoi, c’est un peu de folie.
Qui nous rapportera le bouquet d’Ophélie
De la rive inconnue où les flots l’ont laissé ?
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