Pierre-Jean JouveJardin des âmes au printemps (extraits)

 
   

Le ciel dans la terre

Resplendissant doux jardin de couvent
Il n’y a rien de plus reluisant que ta folle plante
Rien de plus amoureux que le jour à ton sein
Rien de plus chaste que ta sueur claire
De silence de méditations et d’oiseaux verts.

 
On voit

Les pommiers sont en fleur
La chair et le matin
Et font de l’allée un chemin de Marie
Mais personne ; l’air pur
La terre est préparée mais aucune ne vient.

 
Jalousie

Vos vieux paniers au printemps
Vos jeunes bas blancs dans l’herbe
Vos voiles rabattus, vos dents
Vos renoncements sont secrets
Sans âge, enviées par le Maître.

 
Le sexe de l’épouse

La grande fille de religion
Va dans la chaleur conservée
De la terre, du reflet, du mur
Afin de ne vivre qu’à Dieu elle divise la lumière
Et surnaturelle élégance
Le corps lui est supprimé.

 
Le jardinage

Par l’amour et non par la crainte,
Aussi travaillons-nous par deux
Sur les sentiers à peine vifs,
Et nous séparons la lumière
Notre ombre fait suite à nos mains
Ce sont nos dernières mains.
 
[...]

 
L’amour

Portant les cloches de verre
Pour la plante, elles n’ont jamais vu le sommeil
La liberté ni le désir
Ni le nuage ne les aiment,
Une caresse de leur corps
Est pour toujours enfoncée dans les limbes.

 
Blessure

Elles ne blessent pas leur corps
Mais le chemin des sens est sous le bois vert ;
Dieu fit un martyre d’amour
Par lequel passeraient ces filles
Mort journalière
Vie toute morte
On ne les voit pas saigner sur ce chemin.

 
Et la nuit

Lumière, dore encor les faîtes
Feuilles, crevez le sombre bois
Du soir, et passe œil humide,
Elles songent au bois sans feuilles
Méditent trois larmes de sang
Qui ne sont sur le ciel ni dans le vase d’or.
 
[...]

 
Vallée de larmes

Trois lys jaunes
Sont sortis de terre entre plusieurs fonds noirs
D’averse abominable,
Image
De la satisfaction qu’éprouve Dieu.
D’autres iris bleus vinrent un autre jour
Et les chemins pareils aux serpents secs
Les entourent, les empêchent de s’enfuir
Car le matin n’est ni froid ni chaud ni clair ni ombre
Il est utile,
Et ce monde est bien l’endroit de la tentation.
 
[...]

 
 
Les mânes

Dimanche est presque vert
On voit l’asile en fer du jardinage.
Des prairies au début la rage est trop violente,
Pendant la mort des filles, un groupe d’invisibles
Se présente à la terre
Et fait l’amour sans déranger même les oiseaux.
 
Plus loin passent les cœurs blessés, mânes
Défavorables
Attendris et plaintifs
Ils se meuvent, ils vont, jamais ils n’ont de honte.

 
 
L’esprit jeune

Les arbres quand on les mesure sont bleus de joie
La terre quand on la suit est passionnément rousse
Le ciel quand on le dévisage est rose ou même lilas ;
Les graminées plongeant comme la mer
La force appuie sur nous
Les esprits du côté du vent font leur prière
Les cheminées fument dans l’adoration ;
La musique de la contemplation saisit les oiseaux
Parce que l’âme est étendue plus haut que l’espace
Et plus haut que les conceptions et que l’Amour.
 
[...]

 

© Mercure de France