Des bords du canal noir où tu quittas ton linge,
Le noir tchocra te guette avec des yeux luisants,
Floryse. Au loin blanchit la mer sur les brisants,
Parfois sur Chamarel on voit passer un singe.
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La dure alcôve au bénarès est parfumée,
À s’y pourrir le cœur. Venez, ô bien-aimée.
*
Admire des glaïeuls l’écarlate pointu,
Et, sous le noir cyprès, cette glycine encore.
Ça, c’est un ibiscus, dont le cœur se décore
D’une touffe d’or vert. C’est vrai : pourquoi ris-tu ?
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Toi qu’arment les pavots de leur sombre vertu,
Karahissar, Karahissar, que me veux-tu ?
*
Paradis d’ombre fraîche et de chaleur extrême,
Où mûrit la grenade, et, non loin du jasmin,
Cette double pastèque agréable à la main :
Badoure, il n’est jardin que des fleurs où l’on aime.
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Heure céruléenne, et vous, regards couverts :
Émeraude fondue, Aden, de tes soirs verts.
*
Alger, ville d’amour, où tant de nuits passées
M’ont fait voir le henné de tes roses talons,
Tu nourrissais pour moi, d’une vierge aux doigts longs,
L’orgueil, et l’esclavage, et les fureurs glacées.
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En l’an 1910 de phrases — et du Christ,
Nous nous sommes, ma chère enfant, beaucoup écrit.
*
Sous le soir jaune et vert nous ne reviendrons pas
Le long du chemin creux qui penche vers Bilhère,
Faustine. Ni, du bois embelli de bruyère,
L’argile n’a gardé la forme de tes pas.
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Sur la Halte de chasse de Van Loo.
On rit, on se baise, on déjeune...
Le soir tombe : on n’est plus très jeune.
*
Cette fraîcheur du soir, qu’on dirait que tamise
Une émeraude, a fait se joindre tes genoux,
Et tu sembles moins nue ainsi. Mais, entre nous,
Ton mari te dirait : « comme vous voilà mise. »
*
Que je t’aime au temps chaud, la sœur et bientôt mûre
D’un fruit couleur de feu sous la verte ramure.
*
Ne crains pas que le temps sçache les cieux briser ;
Ni qu’en ses mains varient les fleurs ou les Empires.
Rien ne change. Le même lys tu le respires
Qu’autrefois Cléopâtre, — et le même baiser.
*
Il n’est plus, ce jour bleu — ni ses blanches colombes —
Ce jour brûlant, où tu m’aimas parmi les tombes.
*
Le soleil se levait dans un ciel sans nuage.
L’aube aux tendres couleurs se mirait dans les eaux.
Un râle épouvanté courut dans les roseaux,
Qui prit pour un serpent la corde de halage.
*
Mon chien s’appelait Tom, et ma chienne Djaly.
Ah, que de noms pompeux méritaient mieux l’oubli.
*
L’ombre, ni le mystère enchanté des fontaines,
Et l’éclair noir du merle, ou l’auberge aux murs bas :
Je n’ai rien oublié. Non plus quand tu courbas
Ce front trop orgueilleux, que paraient deux antennes.
*
Telle qu’étincelait sa gorge un soir de fête,
Pétris ma coupe. Et puis signe : Douris m’a faite.
*
Nous bûmes tout le jour, un autre — et, le suivant,
Dans l’ombre un luth chanta qui disait que l’on m’aime.
Hélas vous varierez, ô Badoure. Moi-même
Ne suis-je las d’aimer ? Poussière, et toi du vent ?
*
La demoiselle, de vieillesse, est presque morte.
Elle frissonne encore un peu : le vent l’emporte.
*
Le parc ruisselle encore, où l’averse a passé,
Badoure. Approche-toi. Non, laisse, que je goûte
Ce bruit voluptueux d’un orme qui s’égoutte :
Tel est le pleur furtif d’un plaisir effacé.
*
Ô Diane, ô nuit pure où chante un rossignol,
Ô belle, nue et blanche, en ce lit espagnol.
*
C’est Dimanche aujourd’hui. L’air est couleur du miel.
Le rire d’un enfant perce la cour aride :
On dirait un glaïeul élancé vers le ciel.
Un orgue au loin se tait. L’heure est plate et sans ride.
*
Nuit d’amour qui semblais fuir entre deux dimanches.
Tel un grand oiseau noir dont les ailes sont blanches.