Clovis Hesteau de Nuysement 

 
   

Ô Dieux que sens-je en moi, si je ne sens Amour ?
Si c’est lui que je sens, quel peut être son être ?
S’il est bon, d’où provient le mal que je sens naître ?
Sinon, qui me contraint le chercher nuit et jour ?
 
Si je brûle à mon gré, qui trouble mon séjour ?
Sinon, qui me fait or’ l’avouer pour mon maître ?
Ô doux fiel, vive mort, par vous j’ai pu connaître :
Que l’heur et le malheur nous virent tour à tour.
 
Si je suis consentant, à tort je me lamente,
Dedans ma frêle nef sur la mer violente :
Sans mât, sans gouvernail, sans astre, et sans fanal.
 
En ces extrémités de toute raison vide,
Surmonté de l’erreur : qui sera meilleur guide,
Ou la rage, ou l’espoir, à mon bien, ou mon mal.

 

   

O Dieux que sens-ie en moy, si ie ne sens Amour?
   Si c’est luy que ie sens, quel peut estre son estre?
   S’il est bon, d’ou prouient le mal que ie sens naistre?
   Sinon, qui me contraint le cercher nuict & iour?
Si ie brusle à mon gré, qui trouble mon seiour?
   Sinon, qui me fait or l’auouer pour mon maistre?
   O doux fiel, viue mort, par vous i’ay peu cognoistre :
   Que l’heur & le mal-heur nous virent tour à tour.
Si ie suis consentant, à tort ie me lamente,
   Dedans ma fraisle nef sur la mer violante :
   Sans mast, sans gouuernail, sans astre, & sans fanal.
En ces extremitez de toute raison vuide,
   Surmonté de l’erreur : qui sera meilleur guide,
   Ou la rage, ou l’espoir, à mon bien, ou mon mal.