Jean-Claude RenardExercice de la solitude

 
   

Je suis comme l’amant de moi.
Je suis comme quelqu’un de mort,
quelqu’un qui marche à travers soi,
quelqu’un qui marche dans son corps,
je suis comme quelqu’un d’ancien.
 
Je suis ancien et souterrain
comme quelqu’un qui dort en soi,
n’a plus d’amour, n’a plus de mains,
n’a plus que ce dont il a froid,
je suis comme quelqu’un qui tue.
 
Je suis l’oreille disparue,
je suis la bouche ensevelie,
la chair étanche à toute chair,
la chair brûlée, la chair qui crie,
je suis séparé de la mer.
 
Je suis séparé de mon cœur,
je suis séparé des oiseaux,
je suis sans corps intérieur,
je suis sans arbres dans mes os,
je suis comme un homme sans hommes.
 
Je ne suis plus celui qui nomme,
je ne suis plus celui qui voit,
quelqu’un m’a retiré du Christ,
quelqu’un l’a retiré de moi,
je suis absent du haut esprit.
 
Je suis absent du haut amour,
je suis absent des hauts pays
comme quelqu’un dans une tour,
— mais où se tient le haut amour,
mais où sont ceux-là que je suis ?