QueneauLe Voyageur

 
   

Je marcherai longtemps sur la route immobile
sans me faire de bile en marchant très longtemps
j’arriverai peut-être aux portes de la ville
en restant immobile et pourtant en marchant
 
M’arrêtant un peu las aux portes de la ville
je regarderai lors les murailles longtemps
avant de me risquer dans ses rues infertiles
où m’attendent geignards ses rusés commerçants
 
Dans un hôtel miteux je nettoierai mes bottes
dans un snack incertain je mangerai du pain
puis je me coucherai en attendant les aubes
en rêvant de ces pas qui ont fait mon chemin
 
Sans marcher plus longtemps me tenant immobile
sans me faire de bile éveillé ou dormant
je quitterai peut-être une certaine ville
où j’allai un beau jour immobile restant
 
Sur l’horizon plaintif jetant un dernier souffle
j’éteins la calebombe et son ultime lueur
je n’ai jamais bougé Tout être se boursoufle
lorsqu’il veut s’agiter au-delà de sa peur

 

© Gallimard