Victoire BaboisCinquième élégie

 
   

Hélas ! qu’à ma douleur lentement je succombe !
Je vois s’ouvrir sans cesse et se fermer ma tombe.
Le sommeil bienfaisant qui suspendait mes maux,
À mes maux dès longtemps refuse ses pavots.
Chaque instant sur mes yeux répand un jour plus sombre :
De moi-même bientôt je ne suis plus qu’une ombre.
Je vois à mon aspect la pitié qui frémit ;
On doute en me voyant, lorsque ma voix gémit,
Si c’est elle en effet, si c’est moi qui soupire,
Ou la douleur qui vit, qui parle et qui respire ;
Et je fatigue encor de mes tristes regrets
Le rivage du saule et l’ombre des forêts.
Un feu sombre et mourant m’anime et me dévore :
Telle en un lieu funèbre on voit errer encore
L’incertaine lueur d’un lugubre flambeau
Qui lentement pâlit et meurt sur un tombeau.
Avec effort déjà je cherche ma pensée ;
Je me surprends moi-même immobile et glacée,
Étouffant avec peine un sanglot douloureux :
J’ai perdu jusqu’aux pleurs, seul bien des malheureux.
Il est temps que sur moi la tombe se referme,
Et le comble des maux amène enfin leur terme.
Hélas ! il est donc vrai, je perdrai ma douleur :
Je sens que tout finit, oui, tout, jusqu’au malheur.
 
Empire de la mort, vaste et profond abîme,
Où tombe également l’innocence et le crime ;
De ton immensité la ténébreuse horreur
N’a rien qui désormais puisse étonner mon cœur.
Ma fille est dans ton sein ; ah ! c’est trop lui survivre !
J’ai vécu pour l’aimer, et je meurs pour la suivre.

1792