Jehan RictusNocturne

 
   

Quand tout l’ mond’ doit êt’ dans son lit
Mézig trimarde dans Paris,
Boïaux frais, cœur à la dérive,
En large, en long, su’ ses deux rives,
En Été les arpions brûlés,
En Hiver les rognons cinglés,
La nuit tout’ la Ville est à moi,
J’en suis comm’ qui dirait le Roi,
C’est mon pépin... arriv’ qui plante,
Ça n’ peut fair’ de tort à la Rente.
 
À chacun son tour le crottoir.
J’ vas dans l’ silence et le désert,
Car l’ jour les rues les pus brillantes,
Les pus pétardièr’s et grouillantes,
À Minoch’ sont qu’ des grands couloirs,
Des collidors à ciel ouvert.
 
J’ suis l’Empereur du Pavé,
L’ princ’ du Bitum’, l’ duc du Ribouis,
L’ marquis Dolent-de-Cherche-Pieu,
L’ comt’ Flageolant-des-Abatis,
L’ baron d’ l’Asphalte et autres lieux.
 
J’ suis l’ baladeur... le bouff’-purée,
Le rôd’-la-nuit... le long’-ruisseaux,
Le marque-mal à gueul’ tirée
Le mâch’-angoiss’... le caus’-tout haut.
 
[...]
 
Des fois que j’ traîne mes arpions d’ plomb,
J’ m’arr’pos’ et je m’adosse à un gaz
Pour voir « à quel point nous en sommes »,
Tout fait croir’ que j’ suis vagabond :
 
Et d’ Charonne au quartier Monceau,
Au milieu du sommeil des Hommes,
Me v’là seul avec ma pensée
Et ma gueul’ pâl’ dans les ruisseaux !
 
Les nuits où j’ai la Lun’ dans l’ dos,
J’ piste mon Ombr’ su’ la chaussée,
Quand qu’ j’ai la Lun’ en fac’ des nuits,
C’est mon Ombre alorss qui me suit ;
 
Et j’ m’en vas... traînaillant du noir,
Y a quét’ chose en moi qui s’ lamente,
La Blafarde est ma seule amante,
Ma Tristesse a m’ suit... sans savoir.