William Cliff 

 
   

il y a du plaisir à se trouver dans une ville
très très lointaine et inconnue et dont nous ignorons
jusqu’au plus traître mot de ce que l’habitant y parle
et de s’asseoir tout seul sur un caillou et démuni
de tout et de rester des heures à regarder comment
l’eau puante d’un port vient se cogner contre la pierre
où notre corps humblement s’est assis et de penser
de penser de penser si longuement que la journée
s’en va au fil de l’eau comme ce poisson mort qui flotte
avec ces mégots et ces feuilles mortes et ces noyaux
crachés se laissant dériver peu à peu vers le large
 
des autos dans ton dos ronflent et s’enfuient et des pêcheurs
après avoir quelque temps présenté un hameçon
à des poissons gorgés de boue et s’en être lassés
ont relevé leur canne et boulé leur ficelle et sont
repartis vers des gens qui se plairont à les entendre
 
et cependant toujours assis à regarder la vague
submerger le même rocher puis nous le remontrer
nous voyons que le soir inonde d’ombre cette ville
où personne ne nous connaît ni ne prendra souci
de ce que nous restons tout seul dans le noir de la nuit
sans même avoir un lit où nous étendre pour dormir
 
alors chacune des étoiles qui s’allume injecte
dans le plaisir que nous prenions à nous laisser mourir
la peur de voir venir encor l’épave de nous-même
supplier qu’on la traîne dans des rues de porte en porte
jusqu’à lui procurer de quoi déposer son poids d’os
 
le remugle du port avec le soir se fait plus fort
horreur ! le poisson mort est revenu rouler ici
les oiseaux sur leur proie piquent du bec et puis revolent
je me hisse et me rends vers les cafards d’un nouveau lit

 

© Gallimard