Edmond-Henri CrisinelÉlégie de la Maison des Morts

 
   

À Gérard Buchet.

                                    I
 
Château bordé de calme et de feuillage épars...
C’est ici le séjour de la Mélancolie !
De ces nobles bosquets la chaîne est un rempart
Où vient mourir l’écho de tes crimes, Folie !
 
Passant, la grille est close et le soir tombe. Va !
Tu ne comprendrais pas ce qui tourmente et ronge
Dans leur trouble sommeil les ombres d’ici-bas.
Maison des morts — îlot perdu — débris de songe.
 
 
                                    II
 
Dans ces lieux inhumains, flamme et glace ! j’ai vu
Les victimes des dieux fuir la Meute hurlante ;
À leur passé défunt le corps a survécu,
Mais leurs yeux sont fermés sur des taches sanglantes.
 
Comme elles, j’ai maudit le jour où je suis né,
Sous tes mâchicoulis, tour antique et bannie ;
Comme elles, pourchassé d’ombres, j’ai frissonné
D’entendre vos clameurs, ô mâles Érinnyes !
 
 
                                    III
 
Quand le soir est trop lourd d’angoisse, quand le miel
Du jasmin dans la nuit vous oppresse, on s’évade.
Mais les murs sont trop hauts. Ils montent jusqu’au ciel.
On reste prisonnier, pour toujours, dans la rade.
 
Calme, breuvage amer, cet excès de douleur.
Ô lumière ennemie ! et vous, roses parterres !
Sachant que, jamais plus, la fleur ne sera fleur,
Par delà les œillets je regarde la terre.
 
 
                                    IV
 
« Une ombre bien-aimée est au fond de vos yeux,
Comme au fond de mes yeux, amantes délaissées...
Nous l’avons oubliée, et, dit-elle, c’est mieux.
Mais plus ne dormirons, nébuleuses blessées. »
 
Dans la maison des morts une femme chantait,
Jusqu’à l’aube chantait, jamais lasse, obstinée.
Du pays détesté les gouffres se rouvraient.
Elle éveillait les morts. Un soir, ils l’ont tuée.
 
[...]

 

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