Charles FontaineChant sur la naissance de Jean

 
   

Mon petit fils qui n’as encor rien vu,
À ce matin ton père te salue ;
Viens-t’en, viens voir ce monde bien pourvu
D’honneurs et biens, qui sont de grand value ;
Viens voir la paix en France descendue ;
Viens voir François, notre roi, et le tien,
Qui a la France ornée, et défendue ;
Viens voir le monde où y a tant de bien.
 
Viens voir le monde, où y a tant de maux,
Viens voir ton père en procès, et en peine ;
Viens voir ta mère en douleurs, et travaux
Plus grands que quand elle était de toi pleine ;
Viens voir ta mère, à qui n’as laissé veine
En bon repos ; viens voir ton père aussi,
Qui a passé sa jeunesse soudaine,
Et à trente ans est en peine et souci.
 
Jean, petit Jean, viens voir ce tant beau monde,
Ce ciel d’azur, ces étoiles luisantes,
Ce Soleil d’or, cette grand terre ronde,
Cette ample mer, ces rivières bruyantes,
Ce bel air vague, et ces nues courantes,
Ces beaux oiseaux qui chantent à plaisir,
Ces poissons frais, et ces bêtes paissantes ;
Viens voir le tout à souhait, et désir.
 
Viens voir le tout sans désir, et souhait,
Viens voir le monde en divers troublements,
Viens voir le ciel, qui jà la terre hait,
Viens voir combat entre les éléments,
Viens voir l’air plein de rudes soufflements,
De dure grêle et d’horribles tonnerres ;
Viens voir la terre en peine et tremblements ;
Viens voir la mer noyant villes, et terres.
 
Enfant petit, petit et bel enfant,
Mâle bien fait, chef-d’œuvre de ton père,
Enfant petit en beauté triomphant,
La grand liesse, et joie de ta mère,
Le ris, l’ébat de ma jeune commère,
Et de ton père aussi certainement
Le grand espoir, et l’attente prospère,
Tu sois venu au monde heureusement.
 
Petit enfant, peux-tu le bienvenu
Être sur terre, où tu n’apportes rien,
Mais où tu viens comme un petit ver nu ?
Tu n’as ni drap, ni linge qui soit tien,
Or, ni argent, n’aucun bien terrien ;
À père et mère apportes seulement
Peine et souci ; et voilà tout ton bien.
Petit enfant tu viens bien pauvrement.
 
De ton honneur ne veuil plus être chiche
Petit enfant de grand bien jouissant,
Tu viens au monde aussi grand, aussi riche
Comme le Roi, et aussi florissant.
Ton Trésorier c’est Dieu le tout puissant,
Grâce Divine est ta mère nourrice ;
Ton héritage est le ciel splendissant ;
Tes serviteurs sont les Anges sans vice.

 

   

Mon petit filz qui n’as encor rien veu,
A ce matin ton pere te salue :
Vien t’en, vien voir ce monde bien pourueu
D’honneurs & biens, qui sont de grant value :
Vien voir la paix en France descendue :
Vien voir François, nostre Roy, & le tien,
Qui a la France ornee, & deffendue :
Vien voir le monde ou y a tant de bien.
 
Vien voir le monde, ou y a tant de maux,
Vien voir ton pere en proces, & en peine :
Vien voir ta mere en douleurs, & trauaux,
Plus grands que quand elle estoit de toy pleine :
Vien voir ta mere, à qui n’as laissé veine
En bon repos : vien voir ton pere aussi,
Qui a passé sa ieunesse soudaine,
Et à trente ans est en peine & souci.
 
Ian, petit Ian, vien voir ce tant beau monde,
Ce ciel d’azur, ces estoilles luisantes,
Ce Soleil d’or, cette grand terre ronde,
Cette ample mer, ces riuieres bruyantes,
Ce bel air vague, & ces nues courantes,
Ces beaux oyseaux qui chantent à plaisir,
Ces poissons frais, & ces bestes paissantes :
Vien voir le tout à souhait, & desir.
 
Vien voir le tout sans desir, & souhait,
Vien voir le monde en diuers troublemens,
Vien voir le ciel, qui ia la terre hait,
Vien voir combat entre les elemens,
Vien voir l’air plein de rudes soufflemens,
De dure gresle & d’horribles tonnerres :
Vien voir la terre en peine & tremblemens :
Vien voir la mer noyant villes, & terres.
 
Enfant petit, petit & bel enfant,
Masle bien fait, chef d’œuure de ton pere,
Enfant petit en beauté triomphant,
La grand liesse, & ioye de ta mere,
Le ris, l’esbat de ma ieune commere,
Et de ton pere aussi certainement
Le grand espoir, & l’attente prospere,
Tu sois venu au monde eureusement.
 
Petit enfant peux-tu le bien venu
Estre sur terre, ou tu n’apportes rien ?
Mais ou tu viens comme vn petit ver nu ?
Tu n’as ne drap, ne linge qui soit tien,
Or, ny argent, n’aucun bien terrien :
A pere & mere apportes seulement
Peine & souci: & voilà tout ton bien.
Petit enfant tu viens bien pourement.
 
De ton honneur ne vueil plus estre chiche,
Petit enfant de grand bien iouissant,
Tu viens au monde aussi grand, aussi riche
Comme le Roy, & aussi florissant.
Ton Tresorier c’est Dieu le tout puissant,
Grace diuine est ta mere nourrice :
Ton heritage est le ciel splendissant :
Tes seruiteurs sont les Anges sans vice.