Guillaume de Machaut 

 
   

Ne quiers voir la beauté d’Absalon
Ni d’Ulyssès le sens et la faconde,
Ni éprouver la force de Samson,
Ni regarder que Dalila le tonde,
      Ni cure n’ai par nul tour
Des yeux Argus ni de joie gringnour,
Car pour plaisance et sans aÿde d’âme
Je vois assez, puisque je vois ma dame.
 
De l’image que fit Pygmalion
Elle n’avait pareille ni seconde ;
Mais la belle qui m’a en sa prison
Cent mille fois est plus belle et plus monde :
      C’est un droit fluns de douceur
Qui peut et sait guérir toute douleur ;
Dont cil a tort qui de dire me blâme :
Je vois assez, puisque je vois ma dame.
 
Si ne me chaut du sens de Salomon,
Ni que Phoebus en termine ou réponde,
Ni que Vénus s’en mêle ni Mennon
Que Jupiter fit muer en aronde,
      Car je dis, quand je l’adore,
Aime et désir’, sert et crains et honore,
Et que s’amour sur toute rien m’enflamme,
Je vois assez, puisque je vois ma dame.

 

   

Ne quier veoir la biauté d’Absalon
Ne d’Ulixès le sens et la faconde,
Ne esprouver la force de Sanson,
Ne regarder que Dalila le tonde,
      Ne cure n’ay par nul tour
Des yeux Argus ne de joie gringnour,
Car pour plaisance et sanz aÿde d’ame
Je voy assez, puis que je voy ma dame.
 
De l’ymage que fist Pymalion
Elle n’avoit pareille ne seconde ;
Mais la belle qui m’a en sa prison
Cent mille fois est plus bele et plus monde :
      C’est uns drois fluns de douçour
Qui puet et scet garir toute dolour ;
Dont cilz a tort qui de dire me blasme :
Je voy assez, puis que je voy ma dame.
 
Si ne me chaut dou sens de Salemon,
Ne que Phebus en termine ou responde,
Ne que Venus s’en mesle ne Mennon
Que Jupiter fist muer en aronde,
      Car je di, quant je l’aour,
Aim et desir, ser et crieng et honnour,
Et que s’amour seur toute rien m’enflame,
Je voy assez, puis que je voy ma dame.