Jean MolinetÉpitaphe de Simon Marmion, Peintre

 
   

Je suis Simon Marmion vif et mort,
Mort par nature et vif entre les hommes ;
Après le vif, moi vif, peindis la mort,
Qui durement m’a point et qui s’amort
À mordre tous, comme nous qui morts sommes.
Quand j’ai les morts, dormants les pesants sommes,
Ressuscité par vif art de peinture,
Aux vivants suis de le mort portraiture.
 
Du maître peintre, à qui devons hommage,
Tellement fus peint et enluminé
Qu’il me créa à sa divine image ;
Autres, voyant mon trait et mon limage,
Ont après moi leur œuvre patronné ;
Quand j’ai tout peint et tout imaginé,
La mort terrible a brouillé mes couleurs :
Au réveiller sont les grefves douleurs.
 
Ciel, soleil, feu, air, mer, terre visible,
Métaux, bestiaux, herbis, habits bruns, pers,
Bois, blés, champs, prés et toute rien peingnible,
Par art fébrile ai atteint le possible,
Autant ou plus que nul de plus experts,
Tant vivement que nul bruit je n’y perds,
Car j’ai portrait tel mort gisant sous lame
Qu’il semble vif et ne reste que l’âme.
 
Les œils ont pris douce réfection,
En mes exploits tant propres et exquis
Qu’ils ont donné grande admiration,
Riant objet et consolation
Aux empereurs, rois, comtes et marquis ;
Ai décoré, par art et sens acquis,
Livres, tableaux, chapelles et autels,
Tels que pour lors n’étaient guères de tels.
 
Peintres mortels, qui prenez patronages
Sur mes couleurs vertes, noires et blanches,
Quand vous avez portrait vos personnages,
Après les miens, dont grands sont les sonnages,
Octroyez-nous vos douces bienveillances ;
Priez aux saints, dont ai fait les semblances,
Que l’éternel peintre pardon nous fasse,
Si que là-sus je tire après sa face.
 
Le jour et l’an de la nativité
Notre Seigneur, mille avec quatre cents
Quatre vingt neuf, lors fort débilité,
La fière mort, par son habileté,
Me dépouilla âme, cœur, force et sens.
Vous qui voyez ces images présents,
Priez Saint Luc, dont voici la chapelle,
Que Dieu là-sus en sa gloire m’appelle.

 

   

Je suis Simon Marmion vif et mort,
Mort par nature et vif entre les hommes ;
Apprés le vif, moy vif, paindi la mort,
Qui durement m’a point et qui s’amort
A mordre tous, comme nous que mors sommes.
Quand j’ay les mortz, dormans les pesans sommes,
Resuscité par vif art de paincture,
Aux vivans suis de le mort pourtraicture.
 
Du maistre painctre, a qui devons homaige,
Tellement fus painct et enluminé
Qu’il me crea a sa divine ymage ;
Autres, voians mon traict et mon limage,
Ont aprés moy leur œuvre patronné ;
Quand j’ay tout painct et tout ymaginé,
La mort terrible a brouillé mes couleurs :
Au resveiller sont les grefves douleurs.
 
Ciel, soleil, feu, air, mer, terre visible,
Mestaux, bestaulx, herbis, habits bruns, pers,
Boys, bleds, champs, prés et toute rien pingnible,
Par art fabrile ay attaint le possible,
Autant ou plus que nul de plus expers,
Tant vivement que nul bruit je n’y pers,
Car j’ay pourtrait tel mort gisant soubz lame
Qu’il semble vif et ne reste que l’ame.
 
Les œilz ont pris doulce reffection,
En mes exploictz tant propres et exquis
Qu’ils ont donné grande admiration,
Riant object et consolation
Aux empereurs, rois, comtes et marquis ;
J’ay decoré, par art et sens acquis,
Livres, tableaux, chappelles et aultelz,
Tels que pour lors n’estoient gueres de telz.
 
Painctres mortels, qui prenés patronnaiges
Sur mes couleurs verdes, noires et blanches,
Quand vous avés pourtraict vos personnaiges,
Apprez les miens, dont grands sont les sonnaiges,
Octroyez nous vos doulces bienveillances ;
Priez aux sainctz, dont j’ay fait les semblances,
Que l’eternel painctre pardon nous face,
Sy que lassus je tire aprés sa face.
 
Le jour et l’an de la nativité
Nostre Seigneur, mil avec quatre cens
Quatre vingt neuf, lors fort debilité,
La fiere mort, par son habileté,
Me despouilla ame, cœur, force et sens.
Vous qui voyez ces ymages presens,
Priez Saint Luc, dont vecy la chappelle,
Que Dieu lassus en sa gloire m’appelle.