PrévertVainement

 
   

Un vieillard hurle à la mort
et traverse le square en poussant un cerceau
Il crie que c’est l’hiver et que tout est fini
Que les carottes sont cuites que les dés sont lâchés
et que la messe est dite et que les jeux sont faits
et que la pièce est jouée et le rideau tiré
Vainement
vainement
De bons amis m’appellent qui me détestent bien
de vieux amis obèses me surveillent montre en main
me supplient de comprendre tout ce qu’ils ont compris
Vainement
vainement
De vrais amis sont morts d’un seul coup tout entiers
et d’autres vivent encore et rient de toutes leurs dents
les autres les appellent et m’appellent en même temps
Vainement
vainement
Les autres qui sont morts déjà de leur vivant
et qui portent le deuil de leurs rêves d’enfants
et ces gens exemplaires corrects et bien élevés
se tuent à vous prédire ce qui va arriver
et la route toute droite le chemin tout tracé
et la statue de sel la patrie en danger
Le moment est venu de se faire une raison
Déjà au fond de square on entend le clairon
le jardin va fermer
le tambour est voilé
Vainement
vainement
 
Le jardin reste ouvert pour ceux qui l’ont aimé.

 

© Gallimard