Germaine Beaumont : Les malles sont... 
mardi 18 mars 2008, 22:43 - ~ Choix : Prose
    Les malles sont, au même titre que les drapeaux et les poissons rouges, des accessoires de prestidigitation. Les malles ont quatre côtés et cinq dimensions. Quelle que soit la dimension d’une malle, elle est toujours trop petite. Par un phénomène curieux, une malle ne ferme jamais au moment de la rentrée même si elle contient moins d’objets qu’au moment du départ. Des industriels optimistes ont essayé de perfectionner les malles. On ne perfectionne pas les malles, on les subit. Les malles ne sont commodes que quand elles sont ouvertes et vides dans une vitrine. La preuve que les malles ne sont pas faites pour voyager, c’est qu’elles n’ont pas de pieds. Le symbole de l’inertie, c’est une malle.
    On reconnaît les objets que l’on doit mettre au fond de la malle à ce que ce sont toujours ceux dont on se souvient au dernier moment. Le couvercle de la malle est le socle du voyageur. Les malles s’ouvrent toutes seules, mais il faut toujours être plusieurs pour les fermer. C’est toujours avec des bêtes sédentaires que l’on fait le cuir des malles. Ni les vaches ni les porcs ne montent dans les trains, sinon pour mourir. C’est ce qui explique la psychologie des malles. Personne, pas même Paul Morand, ne sait faire une malle, mais tout le monde le croit. Les seules malles qui arrivent infailliblement à destination sont celles qui contiennent un voyageur. Le chien de la maison pleure quand il voit une malle. Ce qu’il faut mettre dans les malles, c’est ce qu’on n’emporte jamais ; des châles cachemire, du camphre et Les Voyages de M. de La Harpe. Les malles des fous sont dans les fourgons. Les malles des sages sont dans les greniers. La boîte de Pandore était une malle, avec l’espérance en moins. Le plus grand des voyageurs, Ulysse, n’avait pas de malle. Il est dangereux d’avoir une malle, parce qu’on finit par vouloir s’en servir. Les malles concourent à la fécondation des hôtels, en promenant leurs étiquettes comme un pollen. L’homme heureux se reconnaît à ce qu’il a vendu sa malle pour s’acheter une chemise. Une consigne est plus triste qu’un cimetière. Malle est le féminin de mal.
(Si je devais..., Le Dilettante)


Commentaire de Francis Ponge :
mardi 1 avril 2008, 14:20
    Ma valise m'accompagne au massif de la Vanoise, et déjà ses nickels brillent et son cuir épais embaume. Je l'empaume, je lui flatte le dos, l'encolure et le plat. Car ce coffre comme un livre plein d'un trésor de plis blancs : ma vêture singulière, ma lecture familière et mon plus simple attirail, oui, ce coffre comme un livre est aussi comme un cheval, fidèle contre mes jambes, que je selle, je harnache, pose sur un petit banc, selle et bride, bride et sangle ou dessangle dans la chambre de l'hôtel proverbial.
    Oui, au voyageur moderne sa valise en somme reste comme un reste de cheval.
(écrit en 1947)



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