Tristan CorbièreÇa ?

 
   

                                                            What ?...

Shakespeare

Des essais ? — Allons donc, je n’ai pas essayé !
Étude ? — Fainéant je n’ai jamais pillé.
Volume ? — Trop broché pour être relié...
De la copie ? — Hélas non, ce n’est pas payé !
 
Un poème ? — Merci, mais j’ai lavé ma lyre.
Un livre ? — ... Un livre, encor, est une chose à lire !...
Des papiers ? — Non, non, Dieu merci, c’est cousu !
Album ? — Ce n’est pas blanc, et c’est trop décousu.
 
Bouts-rimés ? — Par quel bout ?... Et ce n’est pas joli !
Un ouvrage ? — Ce n’est poli ni repoli.
Chansons ? — Je voudrais bien, ô ma petite Muse !...
Passe-temps ? — Vous croyez, alors, que ça m’amuse ?
 
— Vers ?... vous avez flué des vers... — Non, c’est heurté.
— Ah, vous avez couru l’Originalité ?...
— Non... c’est une drôlesse assez drôle, — de rue
Qui court encor, sitôt qu’elle se sent courue.
 
— Du chic pur ? — Eh qui me donnera des ficelles !
— Du haut vol ? Du haut mal ? — Pas de râle, ni d’ailes !
— Chose à mettre à la porte ? — ... Ou dans une maison
De tolérance. — Ou bien de correction ? — Mais non !
 
— Bon, ce n’est pas classique ? — À peine est-ce français !
— Amateur ? — Ai-je l’air d’un monsieur à succès ?
Est-ce vieux ? — Ça n’a pas quarante ans de service...
Est-ce jeune ? — Avec l’âge, on guérit de ce vice.
 
... ÇA c’est naïvement une impudente pose ;
C’est, ou ce n’est pas ça : rien ou quelque chose...
— Un chef-d’œuvre ? — Il se peut : je n’en ai jamais fait.
— Mais, est-ce du huron, du Gagne, ou du Musset ?
 
— C’est du... mais j’ai mis là mon humble nom d’auteur,
Et mon enfant n’a pas même un titre menteur.
C’est un coup de raccroc, juste ou faux, par hasard...
L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’Art.

Préfecture de police, 20 mai 1873.