Boileau : Épitre IX 
(Republication) - ~ Choix : Poëme
(...)

Jadis l’homme vivait au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n’était jamais trompé.
On ne connaissait point la ruse et l’imposture ;
Le Normand même alors ignorait le parjure.
Aucun rhéteur encore, arrangeant le discours,
N’avait d’un art menteur enseigné les détours.
Mais sitôt qu’aux humains, faciles à séduire,
L’abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.
Chacun chercha pour plaire un visage emprunté.
Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante
Affecta d’étaler une pompe insolente ;
L’or éclata partout sur les riches habits ;
On polit l’émeraude, on tailla le rubis,
Et la laine et la soie, en cent façons nouvelles,
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles.
La trop courte beauté monta sur des patins ;
La coquette tendit ses lacs tous les matins ;
Et, mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage.
L’ardeur de s’enrichir chassa la bonne foi :
Le courtisan n’eut plus de sentiments à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu’erreur, que tromperie ;
On vit partout régner la basse flatterie.
Le Parnasse surtout, fécond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs.
De là vint cet amas d’ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, épîtres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et, fût-il louche et borgne, est réputé soleil.

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