Guillaume de Machaut 

 
   

Je maudis l’heure et le temps et le jour,
La semaine, le lieu, le mois, l’année
Et les deux yeux dont je vis la douceur
De ma dame, qui ma joie a finée.
Et si maudis mon cœur et ma pensée,
Ma loyauté, mon désir et m’amour
Et le danger qui fait languir en pleur
Mon dolent cœur en étrange contrée.
 
Et si maudis l’accueil, l’attrait, l’atour
Et le regard dont l’amour engendrée
Fut en mon cœur, qui le tient en ardeur,
Et si maudis l’heure qu’elle fut née,
Son faux-semblant, sa fausseté prouvée,
Son grand orgueil, sa durté où tendreur
N’a ni pitié, qui tient en tel langueur
Mon dolent cœur en étrange contrée.
 
Et si maudis Fortune et son faux tour,
La planète, l’heur, la destinée
Qui mon fol cœur mirent en telle erreur
Qu’oncques de moi fut servie n’aimée.
Mais je pri’ Dieu qu’il gart sa renommée
Son bien, sa paix, et lui accroisse honneur,
Et lui pardonn’ ce qu’occit à douleur
Mon dolent cœur en étrange contrée.

 

   

            Balade
 
Ie maudi leure & le tëps et le iour
La semainne · le lieu le mois · lãnee
Et les ·ii· yeus · dont ie ui la doucour
De ma dame q¹ ma ioie a finee
Et si maudi mõ cuer et ma pensee
Ma loiaute · mõ desir & mamour
Et le dangier qui fait languir en plour
Mon dolent cuer en estrange contree
 
Et si maudi lacueil · lattrait · latour
Et le regart dõt lamour engendree
Fu en mon cuer qui le tient en ardour
Et si maudi leure quelle fu nee
Son faus semblãt · sa faussete prouuee
Sõ grãt orgueil · sa dourte ou tenrour
Na ni pite · qui tiët en tel langour
Mon dolent cuer en estrange contree
 
Et si maudi fortune et son faus tour
La planette · leur · la destinee
Qui mon fol cuer mirent en tel errour
Quõques de moy fu seruie namee
Mais ie pri dieu qui gart sa renõmee
Son bien · sa pais · et lui acroisse honnour
Et li pardoint ce quocist a doulour
Mon dolent cuer en estrange contree