Pierre MatthieuQuatrains

 
   

Qui plus haut, qui plus bas, dans la mondaine barque,
Qui pis, qui mieux placé, qui joyeux, qui chagrin,
Tous font même voyage et descendent enfin
Également traités au grand lac de la Parque.
 
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Tous ces grands bâtiments et ces châteaux superbes,
Qui semblaient menacer d’escalade les cieux,
Ont fait place aux forêts, aux buissons et aux herbes,
Le temps en a changé les noms comme les lieux.
 
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La mort tue en tout lieu ; au bain Aristobule,
Au milieu de son camp l’Empereur Apostat,
Philippe près l’Autel, aux grottes Caligule,
Carloman à la chasse et César au Sénat.
 
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Toute main lui est bonne : Éric meurt par sa mère,
Par sa femme Alboin, par les siens Ariston,
Bajazet par son fils, Mustapha par son père,
Par son frère Conrad, par soi-même Caton.
 
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La vie est un éclair, une fable, un mensonge,
Le souffle d’un enfant, une peinture en l’eau,
Le songe d’un qui veille, et l’ombre encor d’un songe,
Qui de vaines vapeurs lui brouille le cerveau.
 
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Tel se sauve en la mer qui se perd en un fleuve ;
La mort cherche Alexandre et s’enfuit de Néron,
Un Empereur mangeant des potirons la treuve,
Un autre la reçoit d’une Dame au giron.
 
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Le temps va comme vent, comme un torrent il coule ;
Il passe, et rien ne peut l’empêcher de courir :
Qui sait combien de maux en ce moment il roule,
Croit que cesser de vivre, est cesser de mourir.
 
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La vie est une toile ; aux uns elle est d’étoupe,
Aux autres de fin lin et dure plus ou moins ;
La mort quand il lui plaît sur le métier la coupe,
Et l’heur et le malheur comme les fils sont joints.
 
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Quand le vin est au bas, l’épargne n’est plus bonne,
Car le pis et le moins reste au fond du tonneau :
N’abuse du loisir que ton âge te donne,
Et descends quelquefois tout vivant au tombeau.